Marc & Co

  
   Après mes révélations sur la structure des Evangiles reprise dans diverses oeuvres, je me suis aperçu qu'un de mes "livres de chevet" était L'évangile de Jimmy, de Van Cauwelaert (2004).
  Comme déjà dit, je suis très bordélique, et à côté de mon lit s'entassent des dizaines de bouquins, soit commencés et abandonnés, soit sortis de leurs emplacements pour y vérifier quelque chose et oubliés...
  L'évangile de Jimmy était enfoui sous une pile, un livre voyageur récupéré il y a bien des mois, peut-être plus d'un an. Je l'avais déjà lu jadis, et un signet indique que j'en ai interrompu la relecture au cours du chapitre 18 parmi ses 29 (non numérotés).

  Ça m'était sorti de l'esprit lorsque j'ai découvert en janvier la structure des Evangiles dans les récents Thilliez. J'ai eu à coeur de me replonger dans le monde de Jimmy, et de terminer le livre, dont j'avais oublié le dénouement.
  En 1994, des scientifiques US ont réussi à cloner le Christ à partir du sang du Suaire de Turin...  Le garçon a été perdu suite à un incident, mais est retrouvé en 2026, devenu réparateur de piscines sous le nom de Jimmy Wood. On lui révèle son origine et on tente d'en faire un nouveau Messie, mais les grandes institutions du monde actuel, notamment les religions établies, ne sont pas prêtes à reconnaître Jimmy, bien que celui-ci accomplisse guérisons et autres miracles... 
  C'est intelligent mais pas mal verbeux. Enfin lorsqu'il s'avère que ce monde n'a pas besoin de Jimmy, maintenant âgé de 33 ans, le biochimiste responsable du projet lui avoue qu'il n'est qu'un homme ordinaire, les expériences de clonage ayant échoué. Ainsi, s'il a pu réaliser des miracles, c'est uniquement parce qu'il s'imaginait doté de pouvoirs divins...

  Je m'interroge sur Cauwelaert, lequel affiche sa certitude de l'existence du paranormal, dit l'avoir expérimenté lui-même, et est responsable d'une collection éditant notamment des témoignages de médiums, mais ne semble pas se prendre trop au sérieux.
  Ainsi ses Dictionnaires de l'impossible accumulent moult faits étranges, sans souvent la moindre caution documentaire, alors que certains seraient aisés à vérifier.
  Il a notamment préfacé le premier livre de Jean-Claude Pérez, et évoqué dans le roman Hors de moi ses découvertes sur le nombre d'or dans l'ADN. Je rappelle que c'est l'évocation dans GATACA de Thilliez de ce "supra-code", voilée mais aisément identifiable, qui m'a conduit à m'intéresser de près à cet auteur.

  Une recherche sur les romans avec "Evangile" dans le titre m'a conduit à L'Evangile du serpent (2001), de Pierre Bordage, dont je n'avais jamais rien lu.
  Le roman s'inscrit dans la contemporanéité, entre francs et euros, dans une France distopique perturbée par le culte d'un nouveau Messie, un garçon d'une tribu colombienne que ses sorciers avaient vu comme incarnation divine, Vaï-Ka'i, "maître-esprit". Les pouvoirs locaux avaient alors éradiqué la tribu, avec la complicité du Vatican, mais un ethnologue avait sauvé le garçon, et l'avait confié à une famille de l'Aubrac, où il était devenu Jésus Maingrot. Devenu adulte, il crée un courant, le néo-nomadisme, et est bientôt suivi par des milliers de disciples.
  La narration suit 4 personnages,
- Mathias, tueur à gages récupéré par une officine étatique, laquelle prévoit de le faire assassiner le Christ de l'Aubrac;
- Marc, un journaliste que son employeur a forcé à écrire un article hostile sur Vaï-Ka'i, en opposition avec son sentiment;
- Lucie, une travailleuse du sexe qu'un client a conduite à devenir disciple de Vaï-Ka'i;
- Yann, un étudiant qui devient le bras droit de Vaï-Ka'i.

  Il y a ainsi 11 séries de 4 chapitres Mathias-Marc-Lucie-Yann, puis un 45e chapitre, Actes I, réunissant les 4 Evangélistes autour de Vaï-Ka'i qui meurt, comme il l'avait prophétisé. Enfin le 46e chapitre, Actes II, montre Marc se préparer à rédiger cet Evangile du Serpent.
  Du Serpent car un thème essentiel de l'enseignement de Vaï-Ka'i est le Double Serpent, un symbole de sa tribu qu'il voit lié à la double spirale de l'ADN. J'ai parlé dans plusieurs billets de cet étonnant symbole, présent dans le caducée grec, dans la kundalini hindoue, dans l'iconographie ultérieure, par exemple avec cet arbre du Beatus de Gérone dont j'avais parlé ici, mais l'illustration avait disparu.
  Il y a encore l'étonnante Vision de Yeats en 1925, qui semble y décrire l'équilibre des 4 bases, et la nouvelle La spirale d'or de Sturgeon en 1954, semblant annoncer la théorie de la panspermie dirigée, plus tard énoncée par Crick, l'un des découvreurs de la structure de l'ADN.

  Vaï-Ka'i évoque aussi "la maison de toutes les lois, de tous les esprits", un concept semblant très proche de l'inconscient collectif jungien.
  De nombreuses guérisons accompagnent sa croisade, mais elles ne sont pas automatiques, et Vaï-Ka'i assure à diverses reprises que ce n'est pas lui qui guérit, mais la foi que les malades ont en lui.
  Cette foi est aussi caractéristique de certaines des guérisons de Jésus, et c'est un peu analogue au cas de Jimmy chez Cauwelaert, où Jimmy guérit parce qu'il se croit clone de Jésus.

  Le hasard a voulu qu'au moment de ma lecture de L'Evangile du serpent paraisse le livre d'Eric Giacometti, seul, Les éveillées, concomitamment à celui de Jacques Ravenne, seul également, Les ressuscités.
  Les fresques de Michel-Ange de la Sixtine sont de première importance dans l'intrigue, ainsi la couverture montre la scène du Péché Originel, où le tentateur est une femme, dont les jambes sont des serpents s'enroulant en double spirale autour du tronc de l'Arbre de la Connaissance.
  Giacometti en retient la féminité, associée au serpent, l'intrigue étant liée aux croyances des Péruviens, mais ne relève pas la double spirale et la possibilité d'écho avec l'ADN.
  La kundalini est aussi évoquée,

La kundalini, l’énergie vitale présente en chacun de nous selon les bouddhistes. Le yoga favorise l’éveil du serpent et le fait remonter jusqu’au centre du crâne.

mais un seul serpent est cité, alors que le tantrisme voit deux serpents s'enrouler autour de la colonne vertébrale, éveillant tour à tour les chakras, jusqu'au troisième oeil, la glande pinéale, devant son nom à la pomme de pin. Le nombre d'or faisant recette, il est évoqué à propos des spirales de la pomme de pin,

— La pomme de pin est considérée en botanique comme la forme la plus parfaite de structure conique dans le règne végétal. Ses spirales se développent selon le nombre d’or. Le nombre de l’harmonie parfaite que l’on retrouve dans la nature et dans certaines œuvres d’art.

et la Pigne du Vatican vient à l'appui de l'intrigue.
  De même il est vu que, dans la scène de la Création d'Adam, Dieu réside dans une forme rappelant le cerveau humain, avec une glande pinéale, et la même femme que celle de la scène du Péché Originel. Sans préciser davantage, il est indiqué que Michel-Ange a utilisé le nombre d'or dans ses fresques, et je me demande si Giacometti connaît les analyses de Gary Meisner sur ces fresques, étudiées ici.

  Le point le plus frappant est la rencontre des mains de Dieu et d'Adam, située à un point d'or de la scène, en longueur comme en largeur (à partir du rectangle englobant les corps de Dieu et d'Adam):
 

  L'inconscient collectif jungien est évoqué à propos de la femme-serpent de Michel-Ange et des mythes péruviens. De même la synchronicité, et dans une postface l'auteur dit s'être senti guidé dans l'écriture par diverses coïncidences (pas de quoi casser trois pattes à un serpent, à mon avis).

  Me renseignant après lecture, j'apprends que Giacometti et Ravenne offrent en parallèle 4 énigmes aux lecteurs, dont les solutions sont à trouver dans les romans. La gématrie intervient dans ces énigmes.

  Le lien entre Michel-Ange et le nombre d'or m'a rappelé une curiosité dans la série Polar Park diffusée par Arte en novembre 23. Le romancier David Rousseau de Poupoupidou revient à Mouthe, où il est confronté à une série de meurtres étranges, et comprend qu'ils font intervenir le nombre d'or.
  Le générique fait apparaître cette image:
 

  Il est probable qu'elle soit inspirée par les analyses de Gary Meisner, reprises dans un livre traduit en français. Le romancier se rend à la médiathèque de Mouthe, et on le voit y consulter ce livre. J'en ai fait part à Gary qui n'en avait pas été informé.
  Dans cette image, seule la verticale entre les index est pertinente. Non seulement la spirale d'or reportée sur Adam n'a aucun fondement, mais elle est de plus erronée, mélangeant deux spirales toutes deux documentées dans le livre de Gary:
 

  La première est construite à partir d'un rectangle d'or, dont on retranche à chaque étape un carré correspondant à sa largeur, ce qui donne un autre rectangle d'or. La seconde est formée à partir de la suite de Fibonacci, en accolant d'abord deux carrés de 1, puis le carré de 2, puis ceux de 3, 5, 8, 13...
  La spirale du générique est du premier type, mais on y a ajouté des nombres de Fibonacci sans aucune pertinence.

  Il se trouve que le 1er mai, Gef a posté sur la Listeoulipo sa 217e récriture du Desdichado de Nerval, El Dorado.
  C'est une belle idée que j'aurais aimé avoir. Selon la police à chasse fixe Courier New, une largeur de ligne de 21 espaces permet d'approcher un parfait rectangle d'or. Gef y a superposé la spirale d'or construite en 7 étapes, par hasard exactement celle proposée par Gary ci-dessus. Son sonnet utilise essentiellement la voyelle E, et les autres voyelles délimitent les quadrilatères correspondants, U pour le dernier rectangle d'or, O pour le carré adjacent, "or", encore O pour le suivant, "or e d" qui fait "doré", puis I, encore I, A, et enfin A.
  Sans surprise puisque la largeur de ligne est fibonaccienne, les quadrilatères successifs ont les largeurs 1-2-3-5-8-13-21.
  Je remarque que le carré de largeur 8, en bas à droite, ce qui peut correspondre à l'emplacement où l'on signe un tableau, contient les lettres
éternel ne cesse repenti = 236, soit la valeur du nom complet de Gef,
Gilles Esposito-Farèse = 236 (j'ai consacré le 236e billet de Quaternité à ces nom et nombre). 

  Qu'il s'agisse du  217e desdi de Gef m'est aussi significatif, car mon étude du recueil Alphabets de Perec  me paraît révéler de stupéfiantes harmonies dorées. Perec y a choisi de diviser l'alphabet en 2 séries, les 10 lettres les plus fréquentes, de valeur 134, et les 16 autres, de valeur 217, ce qui correspond au partage d'or idéal.
  Sans que ce soit volontaire, probablement, il se trouve que la matrice d'un onzain du recueil est proche d'un rectangle d'or, conséquence de la police choisie (Arial).
 
  Gef a réitéré l'exploit le 19 mai, en pleine écriture de ce billet, alors que je venais de découvrir l"allusion au nombre d'or chez Michel-Ange dans Les éveillées. Cette fois c'est la hauteur du sonnet qui est la largeur du rectangle d'or, ce qui implique une largeur de ligne de 54 espaces pour obtenir un rectangle d'or optimal.
  Et ce sont les consonnes qui balisent les 7 quadrilatères, selon un schéma logique.
 
  54 étant juste une unité sous le nombre de Fibonacci 55, la verticale dorée passe par les lettres de la 34e colonne, et il n'est plus possible ici de trouver des quadrilatères encadrant exactement des contingents de lettres.

  La gématrie totale des 641 lettres du sonnet est 9156, un nombre qui m'a aussitôt évoqué
SLOTY  MARINA = 91 56, dans L'insolite aventure de Marina Sloty, de Raoul de Warren. En avril, le premier billet de viVre a précisément été consacré à une nouvelle découverte dorée. Les 5 étapes du roman en 40 chapitres peuvent correspondre aux itérations d'un rectangle fibonaccien 5x8 (25-9-4-1-1).
  Par ailleurs, le sonnet de Gef est composé de 10 lettres de base, AEIOUYNRST, les voyelles et les 4 consonnes les plus fréquentes, les 16 autres consonnes marquant les sommets des quadrilatères. Les 10 lettres de base ont la valeur 147, comme SLOTY MARINA.

  Le premier sonnet de Gef comptait 247 lettres, ainsi les deux sonnets réunis totalisent 888 lettres, un nombre souvent évoqué dans mes pages, avec notamment le billet 888 !!! en juin dernier, où je rappelais que ma découverte du site de Gary Meisner en 2007 était associée par une formidable coïncidence à 888, valeur du grec IÊSOUS.
  Alors que je viens d'évoquer le partage doré de l'alphabet de Perec en 134-217, comment ne pas rappeler que les 10 lettres les plus fréquentes se répartissent en voyelles-consonnes
AEIOU - LNRST = 51 83, autre partage doré qui se retrouve dans
GARY  MEISNER, comme dans
HOMO  SAPIENS.

  Déplorant plus haut de n'avoir pas eu l'idée de Gef de construire un sonnet doré en utilisant les caractéristiques de la police Courier New, je me suis souvenu avoir imaginé en 2003 (et publié) une spirale fibonaccienne aboutissant à un rectangle 21x34; j'avais utilisé le crénage pour obtenir un rectangle d'or approché:
 

  Je me souviens que c'est probablement le texte qui m'a pris le plus de temps à écrire, proportionnellement à sa longueur. Les détails de sa composition ici.

  Retour aux Evangélistes. Le premier roman où j'avais vu une allusion cachée était Saga (1996), de Tonino Benacquista, avec une belle coïncidence associée à cette découverte.
  J'ai commencé à le relire pour voir si je n'avais pas manqué quelque chose à première lecture, mais n'ai rien repéré de nouveau.
  Les responsables d'une chaîne TV diffusant essentiellement des séries US, tenues à un quota de programmes français, engagent 4 scénaristes en perte de vitesse pour une série programmée à 4 heures du matin, leur laissant le champ libre pourvu que le nombre des personnages soit limité et tous les plans tournés en intérieur. 
  Alors les 4 scénaristes sont Mathilde, Marco, Louis et Jérôme. L'un de leurs personnages se nomme Jonas Callahan (initiales JC, et le "signe de Jonas", resté 3 jours dans le ventre de la baleine), mais rien de plus, sinon un certain retentissement à son 33e anniversaire...
  Il y a eu un rebond en 2022, avec La mélancolie des baleines, de Philippe Gerin, se passant en Islande, et dont les personnages principaux, Sasha-Ayden-Guðmundur-Arna, forment l'acronyme SAGA, bien venu en Islande, l'auteur m'ayant assuré ne pas l'avoir prévu.

  J'ai bien avancé dans ma relecture de Dans la tourbe, de Claude Amoz, que je ne me sens pas encore prêt à commenter. La narration y suit Elie, Francis, Christian, et Marc. Là encore, c'est Marc qui est le plus immédiatement identifiable.

  Le Jimmy cloné de Cauwelaert m'a remémoré Genesis (1997), de John Case, où Joseph Lassiter et Marie Sanders se trouvent devoir assumer les rôles de parents de Jesse, cloné à partir d'une relique christique.
  John Case, pseudo des auteurs du roman, m'a rappelé John Casey, l'un des "Evangélistes" assassins de Terminal Grand Nord. Si Jésus était le fils de Marie et de Dieu, son chromosome Y serait le seul d'origine divine certaine.


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