Doctor Robur & Mister Yeuse ! Cette formule m'est venue comme une évidence le matin du 20 juin. Je ne me souviens plus des pensées qui l'ont précédée, mais je me suis aussitôt demandé comment je n'avais pu y penser plus tôt, il y a quelque 20 ou plutôt 25 ans, lorsque j'étudiais Jules Verne en profondeur.
Robur-le-conquérant est un roman publié en 1886. Robur a bien des traits communs avec Nemo, lequel est devenu le maître des mers dans son Nautilus, alors que Robur a conquis les airs avec l'Albatros, premier appareil "plus lourd que l'air", dont le repaire secret est l'île X. Nemo et le Nautilus ont fini leur carrière dans la grotte sous-marine de L'île mystérieuse, repaire secret de Nemo.
Philippe Kerbellec a lu "ilex" dans "île X": Quercus robur est le chêne rouvre, Quercus ilex le chêne vert, la yeuse. Verne (autre nom de l'aulne), a fort bien pu avoir cette suite arboricole dans les idées...
Mais l'île X, île mystère yeuse, n'est-ce pas pousser le liège un peu loin?
Peut-être pas, car Verne a donné une suite à Robur-le-conquérant, Robur ayant choisi de disparaître à la fin du roman de 1886, jugeant que le monde n'était pas mûr pour son invention. Maître du Monde paru en 1904, est le dernier roman complet écrit par l'auteur, mort en 1905.
Le roman débute par des phénomènes étranges se passant au Great-Eyry, dans les monts Appalaches. Le policier John Strock est envoyé par son chef Ward pour enquêter, mais le lieu est si escarpé qu'il ne peut parvenir à l'endroit voulu.
Cette montagne du Great-Eyry n'existe pas. Verne en suggère une étymologie issue de "aire", car parmi les phénomènes il y a des bruits évoquant les battements d'ailes d'un oiseau gigantesque, mais il devait savoir que l'anglais eerie signifie "mystérieux", et les journaux locaux parlent précisément du "Mystère du Great-Eyry".
D'autres bizarreries frappent les Etats-Unis: un bolide hante les routes du Missouri, si rapide que nul ne peut le décrire, un bateau sillonne la mer au large de la Nouvelle-Angleterre, encore à une vélocité inimaginable, un phénomène sous-marin agite un lac du Kansas...
Strock imagine une corrélation entre ces énigmes, et son enquête l'amène au lac Erié, où le mystérieux engin a été signalé. Il le découvre, est kidnappé à bord de l'Epouvante, apprend que l'appareil est aussi capable de voler, et que son capitaine est Robur.
Le lac Erié existe, et son nom est encore plus proche de eerie que Eyry. Et l'Epouvante, à partir du lac Erié, rejoint en droite ligne le Great-Eyry, le nouveau repaire de Robur.
Un autre jeu anglais était peut-être prévu dans le roman, dont le titre original était Maître après Dieu, ce qui n'a probablement pas été du goût de Hetzel, attentif à tout ce qui pouvait heurter la bienséance. Si Robur avait une certaine noblesse d'âme dans Robur-le-conquérant, il est devenu aigri dans ce second opus, empli de haine envers l'humanité, jusqu'à la déraison, et le comparer à Dieu était mal venu.
Précisément, la première manifestation de Robur est une lettre envoyée à Strock, chapitre 6, Première lettre. Il enjoint le policier de ne pas poursuivre ses investigations, et signe des initiales M.D.M. dans le roman publié, mais dans le manuscrit Verne avait écrit M.A.D.:
De plus, ces initiales figurent 4 fois dans le manuscrit, alors que M.D.M. n'apparaît qu'une fois dans le texte publié, où les occurrences ultérieures de "Maître après Dieu" sont toutes remplacées par "Maître du Monde".
C'est la vieille Grad, servante de Strock, qui demande de qui est la lettre, suggérant qu'elle serait du diable, puisqu'elle vient du pays du diable.
Le chapitre 17 et dernier du manuscrit est intitulé Egal à Dieu !, dernières paroles de Robur avant que la foudre ne frappe (stroke en anglais) l'Epouvante, précipitée de mille pieds dans la mer. Strock en réchappe miraculeusement.
Ces paroles impies, répétées dans le chapitre, ont évidemment disparu du texte imprimé, où le chapitre est titré Au nom de la loi, formule émise par Strock pour conjurer le "fou" (c'est dit explicitement, et à plusieurs reprises) de ne pas s'aventurer au coeur de l'orage. Les dernières paroles de Robur sont devenues "Moi... Robur... Robur... Maître du Monde !"
Le chapitre 17 est suivi dans le manuscrit d'un épilogue, sans titre, devenu dans le texte édité le chapitre 18,
Je ne sais qui, de Hetzel ou Verne, a choisi le titre de ce chapitre, mais, sachant que ward signifie "garde", que la Vieille Garde était l'unité d'élite de l'armée de Napoléon, que Cambronne la commandait à la bataille de Waterloo, et que le dernier mot qu'il aurait lancé aux Anglais le sommant de se rendre est fameux, je me demande si ce "dernier mot" ne serait pas l'ultime pied-de-nez de Verne à son éditeur.
Mais, dans le manuscrit, le dernier mot revenait à Strock, et le texte s'achevait ainsi:
Hetzel n'a pas laissé passer cette formule qui peut être comprise comme un sarcasme, mais Verne s'est peut-être trouvé encore plus satisfait du "dernier mot de la vieille Gard"...
Quoi qu'il en soit, il est remarquable que Verne ait choisi en 1886 le nom ROBUR pour ce pionnier de l'aviation, car il est admis que le premier appareil ayant effectué un parcours avec retour à son point de départ est le Flyer II des frères Wright, ORville et WilBUR, en 1904, l'année même de la publication de Maître du Monde.
Jean-Michel Margot rappelle ce fait dans un article sur le roman.
Maître du Monde a suscité quelques avatars, comme Le Mètre du monde (2000), de Denis Guedj, étude de l'instauration du système métrique, et La Montre du Mède (2001), de Philippe Kerbellec, délirante enquête de Pierre de Gondol faisant intervenir Verne et Roussel. J'y avais consacré une de mes premières pages web.
Robur-le-conquérant est un roman publié en 1886. Robur a bien des traits communs avec Nemo, lequel est devenu le maître des mers dans son Nautilus, alors que Robur a conquis les airs avec l'Albatros, premier appareil "plus lourd que l'air", dont le repaire secret est l'île X. Nemo et le Nautilus ont fini leur carrière dans la grotte sous-marine de L'île mystérieuse, repaire secret de Nemo.
Philippe Kerbellec a lu "ilex" dans "île X": Quercus robur est le chêne rouvre, Quercus ilex le chêne vert, la yeuse. Verne (autre nom de l'aulne), a fort bien pu avoir cette suite arboricole dans les idées...
Mais l'île X, île mystère yeuse, n'est-ce pas pousser le liège un peu loin?
Peut-être pas, car Verne a donné une suite à Robur-le-conquérant, Robur ayant choisi de disparaître à la fin du roman de 1886, jugeant que le monde n'était pas mûr pour son invention. Maître du Monde paru en 1904, est le dernier roman complet écrit par l'auteur, mort en 1905.
Le roman débute par des phénomènes étranges se passant au Great-Eyry, dans les monts Appalaches. Le policier John Strock est envoyé par son chef Ward pour enquêter, mais le lieu est si escarpé qu'il ne peut parvenir à l'endroit voulu.
Cette montagne du Great-Eyry n'existe pas. Verne en suggère une étymologie issue de "aire", car parmi les phénomènes il y a des bruits évoquant les battements d'ailes d'un oiseau gigantesque, mais il devait savoir que l'anglais eerie signifie "mystérieux", et les journaux locaux parlent précisément du "Mystère du Great-Eyry".
D'autres bizarreries frappent les Etats-Unis: un bolide hante les routes du Missouri, si rapide que nul ne peut le décrire, un bateau sillonne la mer au large de la Nouvelle-Angleterre, encore à une vélocité inimaginable, un phénomène sous-marin agite un lac du Kansas...
Strock imagine une corrélation entre ces énigmes, et son enquête l'amène au lac Erié, où le mystérieux engin a été signalé. Il le découvre, est kidnappé à bord de l'Epouvante, apprend que l'appareil est aussi capable de voler, et que son capitaine est Robur.
Le lac Erié existe, et son nom est encore plus proche de eerie que Eyry. Et l'Epouvante, à partir du lac Erié, rejoint en droite ligne le Great-Eyry, le nouveau repaire de Robur.
Un autre jeu anglais était peut-être prévu dans le roman, dont le titre original était Maître après Dieu, ce qui n'a probablement pas été du goût de Hetzel, attentif à tout ce qui pouvait heurter la bienséance. Si Robur avait une certaine noblesse d'âme dans Robur-le-conquérant, il est devenu aigri dans ce second opus, empli de haine envers l'humanité, jusqu'à la déraison, et le comparer à Dieu était mal venu.
Précisément, la première manifestation de Robur est une lettre envoyée à Strock, chapitre 6, Première lettre. Il enjoint le policier de ne pas poursuivre ses investigations, et signe des initiales M.D.M. dans le roman publié, mais dans le manuscrit Verne avait écrit M.A.D.:
De plus, ces initiales figurent 4 fois dans le manuscrit, alors que M.D.M. n'apparaît qu'une fois dans le texte publié, où les occurrences ultérieures de "Maître après Dieu" sont toutes remplacées par "Maître du Monde".
C'est la vieille Grad, servante de Strock, qui demande de qui est la lettre, suggérant qu'elle serait du diable, puisqu'elle vient du pays du diable.
Le chapitre 17 et dernier du manuscrit est intitulé Egal à Dieu !, dernières paroles de Robur avant que la foudre ne frappe (stroke en anglais) l'Epouvante, précipitée de mille pieds dans la mer. Strock en réchappe miraculeusement.
Ces paroles impies, répétées dans le chapitre, ont évidemment disparu du texte imprimé, où le chapitre est titré Au nom de la loi, formule émise par Strock pour conjurer le "fou" (c'est dit explicitement, et à plusieurs reprises) de ne pas s'aventurer au coeur de l'orage. Les dernières paroles de Robur sont devenues "Moi... Robur... Robur... Maître du Monde !"
Le chapitre 17 est suivi dans le manuscrit d'un épilogue, sans titre, devenu dans le texte édité le chapitre 18,
LE DERNIER MOT À LA VIEILLE GRAD.
Strock y fait son rapport à son chef Ward, puis rentre chez lui, où sa servante Grad remercie la Providence de l'avoir sauvé. Le texte édité se termine ainsi:« Eh bien… monsieur, dit-elle, eh bien… avais-je tort ?…
— Tort, ma bonne Grad ?… et de quoi ?…
— De prétendre que le Great-Eyry servait de retraite au diable ?…
— Mais non, ce Robur ne l’était pas…
— Eh bien, répliqua la vieille Grad, il eût été digne de l’être ! »
— Tort, ma bonne Grad ?… et de quoi ?…
— De prétendre que le Great-Eyry servait de retraite au diable ?…
— Mais non, ce Robur ne l’était pas…
— Eh bien, répliqua la vieille Grad, il eût été digne de l’être ! »
Je ne sais qui, de Hetzel ou Verne, a choisi le titre de ce chapitre, mais, sachant que ward signifie "garde", que la Vieille Garde était l'unité d'élite de l'armée de Napoléon, que Cambronne la commandait à la bataille de Waterloo, et que le dernier mot qu'il aurait lancé aux Anglais le sommant de se rendre est fameux, je me demande si ce "dernier mot" ne serait pas l'ultime pied-de-nez de Verne à son éditeur.
Mais, dans le manuscrit, le dernier mot revenait à Strock, et le texte s'achevait ainsi:
« Eh bien…mon maître, dit-elle, eh bien… avais-je eu tort ?…
— Tort, Grad ?… et de quoi ?…
— De prétendre que le Great-Eyry servait de retraite au diable ?…
— Ma foi, Grad, s'il ne l’était pas, ce Robur, il eût été digne de l’être !
— Dieu l'a foudroyé comme il méritait de l'être, ajouta la vieille femme, et vous a sauvé comme vous le méritiez ! Que son saint nom soit béni ! »
— Tort, Grad ?… et de quoi ?…
— De prétendre que le Great-Eyry servait de retraite au diable ?…
— Ma foi, Grad, s'il ne l’était pas, ce Robur, il eût été digne de l’être !
— Dieu l'a foudroyé comme il méritait de l'être, ajouta la vieille femme, et vous a sauvé comme vous le méritiez ! Que son saint nom soit béni ! »
— Ainsi soit-il ! »
Hetzel n'a pas laissé passer cette formule qui peut être comprise comme un sarcasme, mais Verne s'est peut-être trouvé encore plus satisfait du "dernier mot de la vieille Gard"...
Quoi qu'il en soit, il est remarquable que Verne ait choisi en 1886 le nom ROBUR pour ce pionnier de l'aviation, car il est admis que le premier appareil ayant effectué un parcours avec retour à son point de départ est le Flyer II des frères Wright, ORville et WilBUR, en 1904, l'année même de la publication de Maître du Monde.
Jean-Michel Margot rappelle ce fait dans un article sur le roman.
Maître du Monde a suscité quelques avatars, comme Le Mètre du monde (2000), de Denis Guedj, étude de l'instauration du système métrique, et La Montre du Mède (2001), de Philippe Kerbellec, délirante enquête de Pierre de Gondol faisant intervenir Verne et Roussel. J'y avais consacré une de mes premières pages web.
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